Marguerite YOURCENAR… et rien d’autre !
Marguerite Yourcenar… la cérébrale, la lucide, de la franchise sans froufrou… mais bourrée d’hormones mâles qui dansent la java… et à l’inclination atypique ; pourtant, elle affiche une confortable pruderie pour une visionnaire rocheuse de son siècle… Imperturbablement, et depuis toujours, elle s’en alla sur son chemin, le cerveau à l’affut… depuis très jeune la destinée l’a appelée, et soutenue, bien sûr. Un caractère viril ça perce ! Normal qu’elle détestait la comtesse de Ségur !
On lui chercherait en vain l’apanage d’une certaine féminité, telle que l’on se l’imagine…quelques rares photos de sa jeunesse en témoignent.
Son visage exprime des traits virils, durs, un regard perçant déjà , quelque chose de souverain y règne… en même temps s’y dessinait une sensualité animale, d’un animal froid, à l’affût … scrutant l’âme de l’autre avec cette lucidité qu’elle affichera plus tard, l’âge venu de la sagesse, et les turbulences sensuelles de la jeunesse domptées, lorsque l’esprit domine la chair, et quand le corps, devenu trop lourd, n’est plus guère une proposition sexuelle, s’enfonce dans un fauteuil de plomb… moulé par le savoir… où le mystère qu’elle aimait surtout les hommes pédérastes, même si elle passera l’essentiel de sa vie avec une femme, restera enterré comme une curieuse attirance… peut-être est-ce le secret de son pessimisme viril ?
Marguerite Yourcenar avait une écriture d’homme, et entra en tant que première femme à l’Académie française. Elle nous laisse « L’œuvre au noir » qui est sans doute le chef-d’œuvre viril de la littérature féminine !
Elle fait penser à Lou von Salomé qui, plutôt coulée dans la glace, fit rendre l’âme aux plus hardis des hommes… portant le fouet sur Nietzsche et son mari Paul Rée… et dont la plume ne trembla pas non plus !
Jeune, Marguerite Yourcenar aperçoit et comprend vite les amours de Sapho, qu’elle perpétuera sans sourciller… lorsqu’elle raconte d’elle-même comment elle rejoignît une petite fille dans son lit à la maison paternelle, et coucha avec Jeanne, l’amante de son père….
Mais pourquoi le raconte-t-elle ? Serait-ce une prise de conscience douloureuse de son penchant, de son orientation sexuelle ambivalent? Dans son écriture, elle évite la première personne du singulier… mais combien elle se dévoile, quand même, à travers de ses personnages inventés ! La poussée et toujours trop forte, elle fait indubitablement surface, malgré elle !
Qui est-elle ? Marguerite de Crayencour, dite Yourcenar (1903-1987), est élevée par son père, sa mère étant morte quelques jours après sa naissance. Son père décelé vite les dons chez sa fille et l’encourage dans l’étude des langues anciennes et de la littérature, lui donne aussi le goût des voyages… Elle commença à publier après la mort de son père en 1929 et s’installa sur une île de la mer Égée…
Ses racines l’auraient destinée à l’oisiveté (elle l’admet) et d’innombrables voyages, ça forme la jeunesse, une certaine jeunesse, à l’abri des soucis pécuniaires, évidemment, elle l’admet aussi, on lui en sait gré !
Elle habitait une planète, la sienne, et ce fut nulle part et partout, le bonheur est là où l’on se trouve, vit et meurt, c’est sur la terre, où qu’on soit ! Limpide constat !
Elle composa toujours avec le hasard, comme avec les rites et les mystères dont elle s’abreuvait, qu’elle magnifia, c’est un parti pris, mais est-ce vraiment un hasard ?
Inutile de revenir sur sa « jeune plume », Marguerite est une forte personnalité, un talent précoce, déjà très « critique », beaucoup même, elle sait analyser, se remettre en question, surtout en ce qui concerne ses premières œuvres…
Entre plusieurs langues et différents pays, elle vague dans sa barque, dans sa vie, découvre, apprend, écrit, aime et devient connue, pas encore célèbre… Un écrivain pas vain, obstinée dans ses recherches, opiniâtre à la tâche, tout en se laissant vivre à sa guise… ce lui fut permis !
Son maître à penser, c’est André GIDE, cela ne pouvait être un autre, même style lucide et froid, même inclinaison sexuelle… beaucoup vient de là, c’est la fréquentation choisie dans la vie, comme dans la littérature. Rimbaud agite son mouchoir à l’horizon… etc ; La mal-et-diction les rassemble, qui les agite et assujettit !
Le choix du partenaire le prouve, ses hormones danseront toute sa vie et guident aussi sa plume, bien sûr. Romain Rolland disait ; « Tu en connais un, tu les connais tous ! » c’est clair et vrai, cela s’applique aussi à d’autres…
Nonobstant nous avons en Marguerite Yourcenar un écrivain authentique et de taille… et c’est ce qui compte !
Marguerite Yourcenar quitte l’Europe et la famille, laisse ses multiples voyages derrière elle et s’installe aux Etats -Unis dans le Maine, dans l’île des Monts Déserts, joli nom, avec sa compagnonne de vie Grace Frick… une dame à cheval… loin de l’Europe et de la guerre qui y fait rage… destinée, je vous dis !
Le visage s’est durci avec le temps, Marguerite Yourcenar aiguise sa plume, elle acquiert une maturité qu’elle cherchait depuis … « Les mémoires d’Hadrien »… et, elle ose toute la vie, elle le dit d’une façon toujours cérébrale. C’est une intellectuelle redoutable cette femme/homme et pourtant humble, naturelle, mais un personnage complexe et déconcertant !
Si je ne suis pas fol de tous ses livres, j’admets que j’adore ses « Nouvelles orientales », le choix de ces contes reflète aussi bien son génie, son amertume composée sous le masque souriant et moqueur qu’elle présentait… au monde.
Là où elle habitait, le simple fermier, son voisin, avait plus de chances de la rencontrer et de parler avec elle que nous, pour qui elle demeure une bête de curiosité mâle connue, que l’on eût aimé avoir en face !
Alors cette grande dame vieillie se penche avec une atroce clairvoyance sur les humains, tels qu’elle le voit, qu’elle les observe et juge; par leurs sempiternels ravages qu’ils font et dont ils ne peuvent se passer, laissant de terribles cicatrices à la terre et de sanglantes plaies à l’homme derrière eux !
Marguerite Yourcenar se battra alors avec énergie et toute son intelligence devant l’agissement opiniâtre des humains de vivre au détriment de la nature, luttant avec ceux, résolus de vouloir changer le monde par leur attitude, parfois courageuse, face à la vague qui finira par tout emporter et engloutir… et même les meilleures intentions… avec lesquelles on ne tapit que l’enfer… comme le disait le diable lui-même déjà, ricanant devant une telle naïveté !
Elle et son fauteuil, c’est monstrueux, presque génial, c’est un cerveau soutenu dans les coussins de la pensée… comme un nuage dans le ciel qui laisse passer les rayons du soleil… Pourtant elle en a un autre… à l’académie.
Cette femme, si ouverte au monde, quoique refermée dans son univers à elle, dans ce pays lointain, et sa jolie maison blottie dans la verdure… un nid d’amours des deux femmes… cache beaucoup de sa vie, et avec pudeur. Elle se livre seulement, et naturellement, dans ses écrits… elle fuyait la mondanéité. Marguerite Yourcenar fut une grande solitaire, destinée qu’elle avait entrevue depuis sa jeunesse, car rien n’est si nourrissant qu’une solitude… elle avait l’habitude précoce de la solitude…
Elle ne manquait pas d’ardeur, déclare aussi que l’amour c’est un désordre, comme le génie, et que l’absence du sacré dans l’amour la renvoie à la désolation… Elle devait le savoir… Entre la passion qui assouvit le désir et l’amour qui est abnégation, elle rejoint les âmes de la solitude…
Que fait-elle encore ? Elle étudie à fond la tripe Thomas Mann… se penche sur MISHIMA, le spectre… fait une bise à Brantôme, la fouine de l’histoire, adore la Mère Theresa et ses mourants, et Gandhi, ce drôle de petit bonhomme aux pieds nus…
Elle adore Selma Lagerlöf, qu’elle rencontre en 1894, amoureuse de Sophie Elkan… une histoire de cœur… croisés !
Avec George Sand elle prend un verre aux Deux Magots… habillées en costume d’homme… parlant du fanatisme des Juifs… qui n’est pas plus respectable qu’aucun fanatisme… et Jenny de Vasson les prend en photo… à côté , Simone et Jean Paul dressent l’oreille… c’est Paris Saint- Germain- des- Près !
Elle embrasse Marguerite d’Autriche que Brantôme lui a soufflée dans l’oreille… Elle est troublée, et très influencée, par la romancière japonaise, Murasaki Shikibu du XI siècle !Influence admise humblement, mais difficilement explicable !
Elle parle de Ruth Benedict; anthropologue américain et de son « Le sabre et le Japon »
Elle est à genoux devant le Buddha, et admire la poussée quasi instinctive de certaines créatures humaines, dignes d’être admirés, vers la transcendance, ce qui doit nous consoler sinon rassurer…
Avec François d’Assise, elle se roule dans les épines pour triompher des émotions charnelles ! Est-ce bien vrai ? Ses oiseaux ne nous le dirons pas…
De Constantin Cavafy,le poète grec, qui vit « confortablement avec sa mère »… Marguerite Yourcenar dit : « La réminiscence charnelle a fait de l’artiste le maître du temps ; sa fidélité à l’expérience sensuelle aboutit à une théorie de l’immortalité. » Sa messe est dite !
Elle admirait Cocteau, Proust, Cioran, Schlumberger, Martin du Gard… Montherlant, le mordant, l’agressif, le cynique, le super- lucide et le dépressif qui se suicida. Qu’ont-ils en commun ? C’est la clé qu’il faut… afin de le comprendre… ils ont tous un dénominateur commun. Le hasard n’existe pas, chez eux l’attirance y est fatalement liée, les mêmes bonheurs, les mêmes vicissitudes… à contre-courant du fleuve divin…
Jean Cocteau l’a attiré par ses dons de médium, elle lui attribua une sorte de pouvoir occulte, mais reconnaît que ce personnage, si talentueux se dispersait, et finira par jouer le personnage qu’on attendait de lui… dommage, comme elle avait raison ; la lucidité, toujours, vous attend avec elle !
Marguerite Yourcenar avait le sens mystique des rites. Il paraît que rien n’est jamais parfait et que rien ne finit… sagesse pressentie que l’on peut partager tranquillement…
Elle a couvé son « Hadrien », son « Œuvre au noir », et d’autres, mais qui va les lire encore aujourd’hui ? Le monde est à «l’image» omniprésente!
Elle habita… à New York, elle y découvre, dans ces années-là, les negro-spirituals ; elle les traduit, en est envoutée, elle les écoute, transie de bonheur… en même temps elle se dit charitable, mais est-ce que son sens de la charité était vraiment si grand qu’elle le dit ? Comme elle se prosterne d’admiration devant ces chants d’esclaves, imprégnés de souffrance, de détresses et d’espoir, tout en se faisant servir par des domestiques noirs, chez elle, à New York ?
Et cela lui échappe ; « Tout le monde en avait ! » qu’elle ajoute, Ha, le traître ne dort jamais, là, elle s’est trahi, car QUI est ce « Tout le monde », svp ? Ou fut-ce une excuse inconsciente plutôt de sa condition de vie… d’être servie, d’être en deçà de la nécessité qui fausse tant la vie des pauvres… cette phrase-là trahit ses racines d’aristocrate…. Et rien de moins ! « Tout le monde » C’est son univers à elle ! Où est-ce qu’une légère honte accompagna cette femme extralucide et intelligente à qui rien n’échappait ?!
Marguerite Yourcenar, bien consciente de ses privilèges et de la caste à laquelle elle appartenait… bien à l’abri des guerres qui font rage quelque part, en attendant, ailleurs, la fin, tranquillement… cela a été toujours l’apanage de cette caste justement ! Cette classe qu’elle aimerait renier…
Marguerite Yourcenar, avec l’âge, s’est considérablement assagie, les turbulences de la jeunesse passées, elle présente un visage reposé et serein. Assagie certes, mais une vision d’une pythie !
C’est drôle de la voir, enfoncée dans son fauteuil, énoncer des vérités comme un buddha saturé de sagesse… donnant le mode d’emploi de la vie… et du bonheur.
Courageuse et authentique, vraie dans ces pensées et actions, elle se bat avec ses moyens pour de multiples causes; la protection de l’environnement, le droit des femmes, elle dénonce la cruauté envers les animaux dans les abattoirs et le massacre des phoques…oui ! et verse de l’argent pour soutenir telle ou telle action qui lui semble justifiée à défendre !
Il reste la beauté du temps, c’est-à-dire, cette espèce de beauté que créent le temps subi, les intempéries, murs soufflés par le vent et la pluie, et les émotions humaines accumulées pendant des siècles qui ont imprégné les pierres et leur histoire… là où elle habitait avec sa compagne de vie, Grace FRICK (morte en 1979) dans leur petite maison baptisée « Petite Plaisance »… qui finira, un jour aussi, corrodée par le temps… mais en beauté !
Marguerite Yourcenar volait au-dessus des abîmes… où tout est prédestiné dans un chaos… auquel on se heurtera toujours.
Œil von Lynx- Paris 25 mars 2014
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